Quand j'ai couru mon premier ultra-marathon en 2015, au Bromont Ultra, je me suis promis de faire mon premier 100 miles pour mes 50 ans, en 2018. L'été dernier, je recherchais les courses quand quelqu'un, sur un groupe Facebook, m'a suggéré de jeter un coup d'oeil au Maah Daah Hey 100. Dès que j'ai vu le vidéo de la course de vélo de montagne, j'étais accroché. Les paysages étaient à couper le souffle.

Le Maah Daah Hey est un sentier traversant les Badlands, dans le Dakota du Nord. Nick Ybarra et son équipe ont un organisme sans but lucratif pour entretenir ce sentier et éviter qu'il disparaisse. Ils font un travail incroyable. Il organise plusieurs courses de vélo de montagne dans la région et c'était la troisième édition de la course en sentiers.

Pour ma famille et moi, ça a commencé par un voyage de 2800km en voiture. 32 heures dans l'auto, sans compter les pauses pour mettre de l'essence, manger ou dormir. C'est long et c'est dur sur le corps. J'avais de bonnes douleurs dans la fesse gauche et à la bandelette ilio-tibiale. Nous sommes arrivés au CCC Campground vers l'heure du dîner, le vendredi. C'est un petit camping sauvage directement au départ de la course. C'est hyper tranquille et à 6$ la nuit, c'est difficile de trouver mieux. J'ai pu me dégourdir un peu les jambes sur le sentier avant d'aller faire l'épicerie, souper au resto et récupérer mon dossard. Nous avons trouvé une micro-brasserie locale qui fait une excellente pizza jalapeños et framboises.

Je me suis levé vers 4h15 pour prendre le temps de déjeuner et prendre un bon café. Les gens ont commencé à arriver tranquillement vers 5h00. À 5h45, Nick a fait la réunion d'avant-course qui s'est terminée sur une petite prière pendant que je finissais de me préparer. Le départ ne pouvait être plus relax. Nick a tout simplement dit: "Bon, il est 6h00, vous pouvez y aller quand vous êtes prêts." Les 11 coureurs, 9 hommes et 2 femmes, ont alors traversé la première d'un grand nombre de barrière à bétail.

Après une petite montée, le camping disparaît et on se retrouve presque seul. Nous étions 4 coureurs à l'arrière. Eric Selle et moi admirions le paysage et prenions des photos. Ça m'a permis d'éviter de partir trop rapidement. Aucune photo ou vidéo ne rend vraiment hommage à la beauté et l'immensité du paysage. Il faut y être pour en apprécier toute la splendeur. J'ai aussi eu une pensée pour les braves qui font la course de vélo de montagne la semaine après la mienne. Une section est surnommée Never-ending switchback et j'imagine comment ça doit être difficile à grimper en vélo.

Après plusieurs bonnes montées, nous arrivons dans une plaine où paissent des vaches et des chevaux. Faye, la coureuse devant moi, se fait pratiquement courir après par un troupeau de vaches. Elles pensent probablement qu'on vient les nourrir. La vue, avec le soleil qui vient à peine de se lever, est magnifique. Ce sera comme ça toute la journée.

J'arrive au premier point de contrôle en deux heures, après avoir fait 16km. Edith et les enfants ont tout préparé et je repars en moins de 3 minutes. Les deux sections qui suivent sont longues: 24 et 23km respectivement. Je parcours la première en 3h30 pour arriver au premier ravito. Ma bandelette ilio-tibiale gauche a commencé à me faire mal vers le 24ème kilomètre. Ça va bien en montée et sur le planche mais c'est difficile en descendant, surtout quand j'essaie de freiner. Les pentes douces ne sont pas un problème mais quand ça descend plus à pic, la douleur est assez importante. Il commence aussi à faire chaud alors je change de chandail pour mon super t-shirt de coton à trous qui était dans la glacière. Je pars aussi avec un bandana de glace autour du cou. Temps au ravito: 23 minutes.

La semaine avant la course, j'avais décidé de courir avec ma Naked Running Band. J'avais hésité longtemps à cause des deux longues sections, mais c'est beaucoup plus confortable qu'un sac et surtout beaucoup moins chaud. J'avais deux gourdes de 500ml dans la ceinture, de la nourriture et mon téléphone cellulaire (obligatoire pour les urgences). Pour les deux longues sections, j'ai aussi pris deux gourdes de 600ml dans mes mains. Une fois vide, je pouvais les ranger dans la ceinture. Ces deux gourdes contenaient du Tailwind ou du GU Roctane. J'ai éliminé le Tailwind à cause d'une petite urgence #2 quelques kilomètres avant le premier ravito.

La deuxième section longue m'a aussi pris 3h30 et j'ai vraiment commencé à souffrir de la chaleur à ce moment-là. C'est devenu difficile de manger. J'avais constamment la nausée mais je me forçais tout de même à engloutir mes calories. En arrivant au point de contrôle, j'ai pris le temps de me rafraîchir. Edith m'a préparé un tortilla avec de la guacamole et il a bien passé. La guacamole était très épicée alors ça changeait du sucre. Après 18 minutes de repos, je suis reparti pour une section de 12km qui m'a pris 2h10. J'étais à mon plus bas quand j'ai revu Edith et les enfants. Pas d'énergie, pas de motivation, difficultés à manger, douleur à la bandelette, etc. Ça faisait déjà au moins 20km que je cherchais une défaite pour abandonner mais je ne trouvais aucune raison valable alors je continuais à avancer. Il ne me reste que 7km avant le ravito de mi-parcours. Devil's Pass, une des plus belles sections du parcours, me permet de me changer les idées. J'arrive ensuite à la rivière Little Missouri en même temps qu'Eric Selle. L'eau, qui monte jusqu'aux genoux, fait le plus grand bien. De l'autre côté de la rivière, Michael et Chris sont en train de remettre leurs bas et leurs souliers. Je n'ai pas pris la peine d'enlever les miens car j'ai prévu les changer au ravito, 1,5km plus loin.

La côte pour monter au ravito est difficile mais la vue est encore une fois époustouflante, surtout avec le soleil qui descend rapidement sur l'horizon. J'entends mes deux gars avant de les voir en tournant un des nombreux switchbacks. Il est 19h25 quand j'arrive au ravito. J'ai parcouru 82km en 13h25 et je suis exténué. Je m'asseois au sol, sur une couverture et j'enlève mes bas et mes souliers avant de me forcer à manger la soupe aux nouilles qu'Edith a préparée. J'avais décidé de prendre une bonne pause à ce ravito pour pouvoir faire un reset. En arrivant, je demande à Sarah si elle veut faire la prochaine section avec moi plutôt que plus tard durant la nuit. C'est une section de 11,5km. À mon grand soulagement, elle accepte. Après une pause de près de 30 minutes, je repars avec Sarah. J'ai aussi pris mon sac Ultimate Direction pour la nuit. J'ai mis un chandail à manches longues en mérino mais je veux aussi avoir des vêtements plus chauds au cas où. La température descend très vite après le coucher de soleil, dans les Badlands. J'ai aussi pris mes bâtons. La prochaine partie du parcours offre de bonnes montées.

Au ravito de mi-parcours.

Au ravito de mi-parcours.

Jaser avec ma fille permet de me changer les idées. Vers 20h30, nous avons droit à un superbe coucher de soleil. Je retrouve tranquillement mon énergie et nous passons trois coureurs sur cette section. Avant d'arriver au prochain point de contrôle, nous avons droit à un lever de lune rouge, presque pleine. C'est vraiment superbe. Deux heures après avoir quitté le ravito dans un état lamentable, j'arrive au point de contrôle sur un gros high. Je reste 10 minutes pour manger et remplir mes gourdes. Edith me prépare des tortillas à la guacamole qui font des merveilles. La nausée est disparue. Avec la nuit, la température est confortable. Partager ces 11,5km avec ma fille fut une expérience incroyable et inoubliable. Ça restera gravé dans ma mémoire pour toujours.

Je repars pour une section de 15km que je parcours en 2h50. Faye et moi feront une partie de la nuit ensemble ou près l'un de l'autre. Il est 1h du matin et ça va bien. Je prends tout de même 15 minutes pour manger encore de la soupe et je repars pour les sections courtes: 7km, 7,5km, 5,3km. Malgré la nuit et le fait que le dénivelé est plus important, ma vitesse augmente: 1h16, 1h19 et 56 minutes. Des temps d'arrêt de 5 minutes, puis 2 minutes. J'arrive au ravito #3 avant le lever du soleil. Je prends le temps de m'asseoir pour manger une soupe et me changer. Il fera chaud dans quelques heures alors je mets un chandail à manches courtes. Il fait assez clair pour que je laisse ma frontale. La dame du ravito mentionne que j'ai le record de l'arrêt le plus rapide à son ravito: une quinzaine de minutes. À ce moment, j'ai parcouru 129km en 23 heures.

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J'ai droit à un superbe lever de soleil et je croise des antilopes et des dizaines de chiens de prairie. Le soleil me donne de l'énergie mais le ciel commence à s'ennuager. Soudain, un immense coup de tonnerre gronde pendant plusieurs secondes. Je panique un peu. Je sais qu'il me reste 5 ou 6km avant le point de contrôle et le ciel est très menaçant. Il n'y a rien comme un bon coup de tonnerre pour redonner des jambes à un gars qui a déjà fait 140km. Peut-être que j'aurai le temps de rejoindre Edith avant que l'orage commence. J'accélère alors le pas. J'ai même des pointes sous les 5 min/km, ce qui est très rapide pour moi. En montant une côte, je vois un éclair s'abattre juste de l'autre côté de celle-ci, avec le tonnerre explosant au même moment. Trop tard, je suis au coeur de l'orage, en courant avec deux bâtons de métal dans les mains. Je laisse mes bâtons sur le côté du sentier et je redescends me mettre un peu à l'abri sous des buissons. Pluie forte, grand vent et grêle se mettent de la partie. Heureusement, j'ai mon manteau Houdini dans mon sac qui permet de me garder au chaud. Après une trentaine de minutes, la pluie diminue et les éclairs s'éloignent un peu. Je décide de repartir car je sais qu'Edith doit être inquiète. De mon côté, ma seule inquiétude est que la course soit annulée. Je ne veux pas arrêter après 146km. C'est fou, la veille, je me cherchais des défaites pour abandonner et en ce moment, en plein orage, c'est la dernière chose que je voudrais. 

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Les deux kilomètres qui me séparent d'Edith sont pénibles. Le sol argileux est super glissant et colle aux souliers. J'ai l'impression que chacun de mes pieds pèse 5 livres (et c'est probablement vrai). J'arrive au point de contrôle avec une croûte de plus de 2cm sous les souliers. Edith ne semble pas trop inquiète. Elle m'aide à changer de souliers, me prépare encore ses super tortillas et je repars doucement pour une section de 14km, après une pause d'environ 20 minutes. Edith m'a dit qu'il y avait un gars moins d'une heure devant moi qui était mal en point. Je décide de pousser pour tenter de le rejoindre. Ça va bien mais avec la pluie, j'ai de l'eau jusqu'aux genoux à certains endroits. Il y a aussi le problème du sol qui colle aux souliers. Je garde tout de même une bonne vitesse jusqu'à environ 3km du point de contrôle. À ce moment, je ressens un claquement au niveau de mon tendon d'Achille, le même qui me cause des problèmes depuis plusieurs années. Au même moment, je bonk solide. J'arrive tout de même au point de contrôle en 1h55. J'y passe une douzaine de minutes avant de repartir pour la dernière section de 12km, avec un ciel qui gronde mais sans pluie pour le moment.

La douleur au tendon, l'argile sous mes souliers et le manque d'énergie rendent cette section pénible. J'ai hâte de terminer. En même temps, j'ai un petit pincement au coeur en pensant que la fin approche. Ce fut une aventure remplie de rebondissements et dans le fond, je n'ai pas tout à fait envie que ça se termine. C'est difficile à expliquer. J'arrive tout de même vers la fin de ma course qui se termine par deux kilomètres de piste cyclable asphaltée. Ça fait mal en batinse de l'asphalte après 170km. Je l'ai trouvé pénible cette section. Raphaël et Etienne sont venus me rejoindre à 500m de la ligne d'arrivée. Sarah s'est jointe à eux pour terminer la course avec moi. Nick m'attendait avec un grand sourire, malgré son air exténué. On a jasé en prenant une bière et en attendant Faye qui a terminé 36min après moi. C'était relax. C'était le fun. J'étais heureux et j'étais bien.

Je termine la course avec un temps officiel de 31h16. De ce temps, j'ai passé 2h59 dans les points de contrôle et les ravitos. Je trouve que c'est beaucoup mais en même temps, c'était nécessaire. C'était mon premier 100 miles et le but était de passer le fil d'arrivée. Ces arrêts étaient de 2 à 30 minutes. L'orage m'a aussi coûté un bon 20-25 minutes. Je suis tout de même satisfait de mon temps et j'ai appris beaucoup de choses. Les limites qu'on s'imposent sont souvent beaucoup plus mentales que physiques.

Pour les détails techniques, j'ai pris le départ avec mes Altra Lone Peak 3.5 et des bas Injinji. J'avais protégé certains orteils avec du Leukotape et du Hypafix. Au ravito du 82ème kilomètre, j'ai chaussé mes Altra Paradigm pour avoir un peu plus de confort pour mes pieds. Après l'orage du matin, j'ai repris mes Lone Peak et ma Naked Running Band pour terminer la course. J'ai aussi laissé les bâtons de côté. Avec le ciel qui grondait encore, ça ne me tentait pas de courir avec deux bâtons de métal dans les mains.

Alors c'était comment de courir 172km? C'est difficile à expliquer. Certaines sections étaient plus longues mais globalement, j'ai l'impression que le temps s'est accéléré et que tout s'est passé rapidement. Physiquement, je n'ai pas trouvé ça plus difficile que le 110km que j'ai fait l'automne dernier. J'aurais même tendance à dire que ça a mieux été. C'est probablement dû au fait que j'ai fait un bon reset à 82km. Une course comme ça, c'est tellement long que tout a le temps de changer. Ça n'ira pas toujours de mal en pis. C'est une leçon que j'avais retenue d'une discussion avec Sébastien Roulier. Je savais aussi, grâce à mon expérience comme pacer de mon ami Eric McGee, au Bromont Ultra l'an dernier, qu'on peut toujours trouver un peu d'énergie pour recommencer à courir. 

L'aspect le plus important pour la réussite de ma course, c'est la présence de ma famille. Savoir qu'on verra ceux qu'on aime dans 10, 15 ou 20km, ça aide à continuer. D'ailleurs, je ne me suis jamais dit qu'il me restait xx km avant la fin. C'était toujours x km avant de revoir ma gang au prochain point de contrôle. Ils ont été super efficaces, ont bien pris soin de moi et n'ont eu aucune pitié pour mes plaintes. Edith m'a fait une face quand j'ai dit: "Si je finis…". Elle préparait déjà ses arguments pour me botter le derrière si je parlais d'abandon mais l'occasion ne s'est pas présentée. Est-ce que j'ai eu du plaisir tout le long de la course? Non. Quand j'écrasais sous la chaleur et que j'avais la nausée, je ne m'amusais pas vraiment. Cependant, le plaisir est revenu par la suite et j'étais vraiment heureux en passant la ligne d'arrivée.

Comme cet article est déjà très long, j'en ferai un autre pour parler de ce que j'ai appris. J'ai adoré mon expérience et ce ne sera pas mon dernier 100 miles. Je ne pense pas que j'en ferais 3 ou 4 par année mais j'en ai déjà trouvé un aussi beau pour 2019. Je vous invite à regarder mon petit film de la course pour la vivre un peu de l'intérieur. 

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