C'était la quatrième édition du Bromont Ultra, où j'ai fait mon premier ultramarathon en 2015. J'y ai passé le week-end pour aller voir et encourager mes amis coureurs et pour prendre quelques photos (évidemment).
Je suis arrivé une heure avant le départ du 160km, samedi matin. Ça m'a donné le temps de jaser avec des copains que je ne vois pas assez souvent. C'est peut-être cliché de dire que le monde de l'ultra est une grande famille mais c'est pourtant une réalité. C'est toujours le fun de revoir les gens croisés lors de courses précédentes. L'ambiance y est toujours très chaleureuse. C'est peut-être en partie parce qu'on se comprend et qu'on est tous une bande d'imbéciles heureux.
J'ai mal calculé les temps de passage et j'ai raté presque tout le monde au ravito #2 alors je me suis dirigé vers le #4, Chez Bob, juste à temps pour voir arriver les premiers coureurs, Pierre-Michel et Alister. Ils ont un peu plus de 30km dans les jambes et tout semble bien aller. J'y suis resté un bon bout de temps pour encourager mes amis. C'est fou comme des liens se sont tissés avec ces gens que je ne connaissais même pas il y a deux ans.
Je me suis ensuite dirigé au ravito #6 où déjà beaucoup de coureurs étaient passés.
Je n'y suis pas resté trop longtemps car je voulais voir les meneurs passer au lac Gale, après 63km de course. C'était un autre ravito hyper sympathique où les coureurs étaient accueillis par des cris et des bruits de tambours. Plusieurs membres de familles et des amis attendaient leur coureur avec impatience. Ça permet d'assister à de belles scènes émotives. La fatigue commençaient à se faire sentir et c'était visible sur les visages.
En revenant au camp de base, les premiers coureurs étaient déjà passés. Ils arrivent à cet endroit après 74km, repartent pour une petite boucle de 6km et ensuite commencent leur deuxième boucle de 80km. C'est ici que Guylaine et son équipe médicale évaluent les coureurs. C'est aussi ici que plusieurs copains ont dû abandonner.
Mon ami Vincent a été sorti par la même blessure au genou qu'il y a un an. Benjamin commençait à avoir des problèmes rénaux. L'hécatombe commençait. Après le passage de mon amie Caroline, juste avant le temps limite, je suis allé dormir un peu. À mon réveil, j'ai constaté comment la nuit avait été dure pour plusieurs. De nombreux coureurs avaient dû arrêter en raison de blessures ou par épuisement. J'ai jasé avec Marie-Ève et Marc-André avant qu'ils aillent dormir et j'ai malheureusement raté leurs départs sur le 80km par équipe. Mon "lit" était trop confortable. J'ai quand même pu assister au départ du 55km et au passage de quelques coureurs du 160km.
C'est à ce moment que le déluge a commencé. J'en ai profité pour aller déjeuner avant d'aller encourager les coureurs au P7 (ravito #6). Sur la route vers le ravito, je vois Eric McGee. Il est fatigué et n'a pas de pacer. Je lui offre de partir avec lui au prochain ravito. Le seul problème, c'est que je n'avais pas prévu courir. Je suis toujours en récupération de l'UTBdM et je n'ai rien avec moi. Heureusement, j'ai mes Altra Lone Peak Neoshell dans les pieds. J'enfile des bermudas (je n'avais pas de shorts) et ramasse mon imperméable (il pleut des cordes). J'avais ma Naked Running Belt dans l'auto et un peu de bouffe. Problème majeur: je n'ai pas de gourde. Je croise Sébastien Côté dans le stationnement et il m'en donne une qu'il avait dans sa voiture (Merci Sébastien!). Eric arrive au ravito, prend le temps de manger et de se reposer et nous repartons ensemble. La course contre la montre pour éviter les temps de coupure commence. Il a déjà 126km dans les jambes et a de la difficulté à s'alimenter depuis une quinzaine de kilomètres.
Cette section du parcours fait 17km et comporte beaucoup de montées et de descentes, parfois très abruptes. Je sais que ce sera long et nous devons passer au lac Gale (km 143) avant 15h00. Je suis Eric, l'encourage et tente de lui changer les idées. Après un certain temps, je prends les devants dans les descentes pour le tirer un peu. Il marche à une très bonne vitesse, souvent sous les 10min/km mais la course se fait de plus en plus rare. La dernière section avant le ravito est très difficile physiquement et mentalement mais nous y parvenons vers 14h35. Pendant qu'il mange, je lui masse un peu les cuisses. Il reste encore 9km avant le camp de base et ensuite la boucle de 6km.
Nous repartons à 14h45, 15 minutes avant le temps limite. Les autres qui arriveront après nous se feront couper. Je ne connais pas cette section du parcours mais je découvre qu'il y a encore beaucoup de dénivelé. Eric est exténué mais continue d'avancer. Il a encore une bonne vitesse sur le plat mais les montées et descentes sont plus difficiles. La course est rendue impossible. Nous finissons par arriver au camp de base un peu après 16h30. Eric doit finir la course avant 17h30. Il prend un peu de soupe. C'est tout ce qui entre. Fred, le responsable du camp de base, me demande si je repars avec lui car sinon, il ne le laisse pas repartir. Eric a vraiment l'air zombie à ce stade-ci.
Nous repartons à 16h36 et je dis à Fred que nous serons de retour dans 1h15. Ce sera trop tard pour le temps limite mais au moins, il aura fait son 160km. Vu l'état d'Eric, Fred est sûr que ça nous prendra beaucoup plus de temps que ça. Rendu en haut de la première petite côte, il y a une bonne section sur le plat. Je tente de faire courir Eric mais il ne veut rien savoir. Il n'a plus de jus. Je le comprends tellement car j'étais au même point deux semaines avant, au bout du monde. Tout ce qu'il m'a dit depuis les cinq dernières heures, je l'ai dit à Edith durant ma course.
Il veut couper ça court et retourner à la ligne d'arrivée. Je passe un marché avec lui. Si on fait le prochain kilomètre sous les 10 minutes, on fait la boucle de 6km, sinon, on fais la boucle du 2km pour revenir au départ. Je le force alors à courir 30 secondes et je compte chaque pas. On fait 30 secondes à toutes les deux minutes environ. On réussi à faire le kilomètre en 9:59:32 alors je lui dit qu'il n'a pas le choix et qu'il doit faire la boucle du six. On augmente le rythme. Dès que c'est plat ou en descente, je cours devant lui et il me suit sans poser de question. En montée, il marche vraiment très rapidement. Il va maintenant puiser dans des réserves qu'il ne savait pas qu'il avait. Dès qu'il me dit qu'il est fatigué, je change de sujet. Je lui fait le décompte des kilomètres, je lui dis l'heure. Plus je vois le temps et la distance passer, plus je pense qu'on peut rentrer dans les temps. Je le pousse de plus en plus, parfois en lui mentant sur la distance qu'il reste à faire. Quand on arrive sur le bord de l'étang, on repart à courir. La fin approche et il roule à 6:15min/km après avoir fait 159km. Nous passons le fil d'arrivée juste à la fin de la remise des médailles et Eric a droit à un super accueil. Une fin digne de Western States. Il termine dernier, en 34h01. Une minute après le temps limite mais il a réussi à compléter 160km et à faire la dernière boucle de 6km dans un temps que personne ne jugeait possible. Il a amplement mérité sa boucle pour récompenser sa première course de 160km. Je suis très fier de lui et j'ai adoré ma première expérience comme pacer. Ce n'était pas prévu mais c'est souvent les imprévus qui font les plus belles expériences. Bravo mon ami! Tu as de quoi être fier.
Un gros merci à Gilles, Karine, Guylaine et toute leur équipe de bénévoles. Je n'ose même pas imaginer le cauchemar logistique relié à l'organisation d'un week-end comme celui-ci. Vous avez encore une fois fait un travail remarquable et permis à des gens de se dépasser et d'en garder des souvenirs pour toujours.